2021 : Migrations

Ici le montage de la représentation intégrale.

Témoignage

Un voyage, une collaboration

 La lecture des poèmes de Werewere-Liking Gnepo, « Migration de la Parole » a été pour moi un voyage inédit (c’est banal comme expression, mais je ne trouve pas mieux…) – un voyage qui me faisait survoler les enfers par ici et des splendeurs par-là. C’est une traversée qui exigeait en plus que je me penche tant soit peu sur l’histoire de l’Afrique, de l’Afrique d’hier, comme de l’Afrique d’aujourd’hui ….

Je n’ai aucune prétention de pouvoir parler de la poésie. J’aurais trop peur de l’étouffer avec mes mots inadéquats. Parler de la poésie, c’est un métier à part entier. Un peintre américain contemporain (Barnett Newman) s’est exclamé un jour que « l’esthétique est à l’artiste ce que l’ornithologie est aux oiseaux ». Voilà une proposition qui me soulage en l’occurrence. Je ne suis pas « l’oiseau » qu’est Werewere-Liking Gnepo, je suis oiseau quand même.

Le poète, l’artiste, se tourne vers autre chose, vers ce qui n’a rien à voir avec quelque théorie que ce soit et sur quoi la raison n’a pas prise. Ainsi, l’artiste véritable apprend à taire ses analyses intellectuelles afin de se laisser conduire par l’indicible. C’est ce qui fait aussi bien la réjouissance que la douleur qu’apporte l’acte de créer. Ensuite, ses lecteurs, ses spectateurs sensibles suivent, eux aussi, le cheminement tracé.

En tout cas, je peux dire que, dans les poèmes de Were, je voyais, ou ressentais plusieurs niveaux de lecture. Au premier degré, on imagine cette caravane de la poésie – un voyage qui a vraiment eu lieu, dans l’espace et dans le temps. On participe aux observations de la poète, on en est émue, on en est inspiré, on en reste pantoise, on prend des gifles et éprouve des déchirures. Mais ce qui m’a vraiment transportée, pour ainsi dire, et qui a fait naitre en moi le désire de faire de ces poèmes un point de départ pour une collaboration de spectacle entre nous, c’est le fait que, pour moi, la destination ultime de ce voyage – migrateur – semblait être toujours une spiritualité réelle – et accessible car le lecteur des poèmes de Werewere est porté par des ailes de la compassion humaine et de la positivité profondes. Je me demandais : saurait-on transmettre tous ces niveaux de lecture en images ? Un sacré défi, je peux vous le dire, pour 6 semaines si courtes de travail !

Je crois que tout être humain se languit au fond de son âme. Comme s’il nous manquait quelque chose d’essentiel, comme si nous cherchions quelque chose de perdu, quelque chose d’oublié.

Je cite Were :

C’est périlleux mais vital, n’est-ce pas ? « … le Caravanier à la quête de sa destination Se retrouve sur le fil du funambule… », chante-elle.

Et puis elle transmet un remède : « De te souvenir de ta divinité et de redevenir un dieu / Plein de passion pour toi-même et pour la création / En tant que Dieu d’amour et de tolérance, Dieu la Mère »

Une métaphore modeste : Disons que nous avons un bidon plein d’eau, dans laquelle quelqu’un a méchamment versé un flocon de teinture rouge et acide. C’est ce monde. Evidemment, on ne pourrait jamais enlever la teinture de cette eau contaminée. Par contre, en ajoutant de l’eau pure dans le bidon, même au compte-gouttes, peu à peu la teinture dans le bidon va se diluer, devenir de plus en plus pale, jusqu’à ce que nous ne voyions plus aucune trace et que l’eau soit enfin potable.

Entre autres, l’art véritable, n’est-ce pas autant de gouttes d’eau pure dans cette eau ternie, imbuvable ? Dans ce monde invivable ? Que cela soit visuel, littéraire ou sonore, je trouve que l’expression poétique de Werewere-Liking Gnepo est imprégnée de cette eau pure et purifiante. Et tant qu’il y a des êtres comme elle sur cette terre, je trouve qu’il y a de l’espoir.

Mary Sharp

Abidjan, juin 2021